Le langage du vin
Quelle belle origine que celle du mot « vin »… s’il devait vraiment provenir de vêna, mot sanskrit, probablement védique, qui signifie « aimable », « aimé », « amical » !
Mais les philologues chicanent… ne sachant vraiment s’il faut ainsi remonter aux limbes des langues indoeuropéennes pour décider de l’antériorité latine de vinum, ou s’il ne faut pas plutôt s’en tenir au grec oïnos qui remonterait de l’hébreu iin…
Il n’empêche, le vin rend aimable, crée des liens amicaux, et rend volubile…
Le langage du vin… il revêt de multiples formes :
Un vin, six dégustations, six descriptions…
Le technicien : net, équilibré ; du fruit et du corps ; acidité faible bien compensée par des tanins soutenus.
Le maître de chai : mieux que l’an passé ; la cuvaison bien conduite a compensé les petites pluies d’avant vendange.
Le courtier : classique, bien fait, sans problème ; un peu mieux que la moyenne du secteur.
Le sommelier : rubis profond, brillant ; très joli nez de merlot bien mûr ; charnu et gras ; parfait avec le gigot mais éviter les côtelettes aux herbes de Provence trop épicées.
Le chroniqueur gastronomique : magnifiques reflets d’or rouge, resplendissant à la flamme des bougies ; nez puissant de fruits gorgés de soleil, de cerise noire, de mûre, avec des notes bien fondues de pruneau, de confiture de figue ; tanins de soie faisant la queue de paon en tapissant tout le palais ; vin très long ; une bien belle réussite pour ce cru habitué aux succès et sachant bien gérer les années difficiles.
L’amateur-consommateur : très sympathique, je vais en recommander quelques bouteilles pour la maison et pour offrir.
Beaujolais-Village, récolte 1974, p. 190, E. Peynaud, J Blouin, Le Goût du vin Ed La Vigne, 4ème édition oct. 2006
Le langage du vin (le langage de l’œnologie) témoigne de la pluralité d’approche des différents profils de dégustateur. E. Peynaud et tant d’autres après lui ont rejeté systématiquement tout verbiage non représentatif du vin si l’usage des termes se voulait trop affectif, ou trop imaginatif.
Pour autant, le lyrisme dans la description est admis, entériné, et à notre insu d’ailleurs.
En effet, la sémantique qui préside à l’analyse du vin a recouru assez rapidement à l’emploi métaphorique, véritablement perçu comme tel initialement - c'est-à-dire au sens aristotélicien du terme, faisant de la métaphore une comparaison elliptique - pour définitivement adopter ces métaphores en catachrèses (le sens premier du mot est oublié, le terme est définitivement amputé de son acception originelle).
Par exemple, l’occurrence du mot corps pour parler du vin, si elle s’est voulue volontairement comparative de la physiologie féminine (d’où d’ailleurs les sèmes y afférents, maintenant inusités : cuisse, jambe, etc.), ne s’emploie aujourd’hui qu’avec univocité, non plus comme sens figuré.
L’emploi de la métaphore dans le langage du vin a pour particularité de créer de nouvelles réalités dans la perception du vin : nouvelles réalités transférables puisque l’image du vin décrite l’est dans l’objectif de la dessiner dans l’esprit du lecteur. Les métaphores œnologiques engendrent des constructions de l’esprit, des interprétations, qui prennent, dans leur aboutissement, consistance dans un système conceptuel propre au monde du vin, non transférable à aucun autre, et créatif à son tour de nouveaux concepts, investi donc d’une terminologie qui lui est propre.
Ainsi les expressions « tanins fondus », « soyeux », « minéralité » du vin sont-elles en réalité des métaphores oubliées, considérées aujourd’hui par le dégustateur comme des signifiants non substituables… ayant un sens propre bien défini, univoque.
La création d’un langage spécifique à une discipline est un processus cognitif bien naturel, certes. Ce qui explique que chaque domaine scientifique détient son propre lexique, souvent bien hermétique aux béotiens.
Mais la particularité de l’œnologie est qu’elle s’adresse tout autant au monde professionnel qu’à l’amateur, tout autant au profane qu’au connaisseur. Avec des spécificités langagières descriptives, précises, scientifiques, la communication du vin sait aussi être émotive et esthétique. Terminologie dyadique, qui doit donc coupler lyrisme, poésie et précision, univocité…, qui doit coupler objectivité et subjectivité… tout un défi que traduire un vin !
L’œnologie vise dans sa spécialité une forme d’intellectualisation dans son rapport à l’écriture, idéalement conceptuelle, précise et savante, mais elle ne saurait neutraliser l’émotivité de celui qui, à travers la description du vin, se dévoile, s’engage et se passionne.
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